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Mardi 1er avril 2003, à Midi, sur la tombe d’André BRETON
31e division, 12e ligne, 18e sépulture
311218 est le nombre de la tombe d’André Breton, 31e divison, 12e ligne,
18e sépulture. Breton signait 1713. Le A avait la forme du 1 et du 7 et le B
celle du 1 et du 3. Chacun choisit ses étoiles.
Dans « cette soif d’arriver à la rencontre de tout » André Breton avait inventé
l'écriture d'un nouveau poème, hors du livre, une nouvelle langue-monde.
Cette langue des « objets-lettres » qu’il avait accumulés au cours de sa vie,
comme une longue phrase surréaliste, va être arrachée, par les bouchers des
salons de l’art.
Chaque objet, chaque livre recueilli par André Breton, est une lettre en majuscule,
comme un caractère d’imprimerie, qui ouvre sur l’infini de la présence philosophale.
« Ces objets qui, entre la lassitude des uns et le désir des autres, vont rêver à la
foire de la brocante », assemblés les uns à côté des autres sont l’écriture d’un livre
fondamental.
Vendre ces objets qui sont les mots d’un Grand-Œuvre participe au génocide
de la poésie.
En ces temps de guerre où l’on vend les morts et les mots, c’est la dernière œuvre
d’André Breton qui est mise en pièce par les charognards de l’argent et les coyotes
collectionneurs.
Les « avidas-dollars » et les « roteurs d’euros » se sont donnés rendez-vous à
Drouot pour la vente de l'invendable. Car ce que la police de l’art et les
marchands appellent la « collection de Breton » est en fait un nouveau concept
de poème infini, alliant le cœur alchimique de l’or avec les yeux de son lecteur.
Vendre la rue Fontaine c’est comme si on vendait à l’encan les
« Illuminations
» de Rimbaud, consonne par consonne, voyelle par voyelle, virgule par virgule,
point par point.
« Les objets de la réalité n’existent pas seulement en tant que tels : de la
considération des lignes qui composent le plus usuel d’entre-eux surgit - sans
même qu’il soit nécessaire de cligner des yeux - une image-devinette ».
Les « objets-talismans » trouvés et perdus, les « épaves » de l’auteur de
« l’Amour Fou », sont un poème qui ne peut se réduire au démembrement
des lettres de ses mots. « La trouvaille d’objets remplit ici rigoureusement
le même office que le rêve ».
De ce « rébus de magie blanche » écrit hors écriture par André Breton, il ne
nous restera que la cascade des prix, sous les coups de marteau des
commissaires-priseurs de la mort.
L’argument, selon lequel les « meilleures œuvres » seront sauvées par les
« pouvoirs publics », et ce, dans une « consolation nationale », participe
complètement de cette destruction, car dans la grande phrase de l’histoire
du poème qui va vers son inconnu, on ne peut faire la différence entre les
verbes et les mots.
La nécessité logique de l’œuvre magique est ici démembrée. « Toutes
choses étaient livrées à la transparence totale, reliées par une chaîne de verre
dont ne manquât pas un maillon. »
« La loi de production de ces échanges mystérieux entre le matériel et le mental
» ne supporte pas un seul bouleversement de syntaxe.
Le rythme est le sens du poème au centre de ses images-funambules.
La vente de Drouot représente la destruction radicale et consciente d’une œuvre
par ceux qui achètent et ceux qui vendent.
A qui peut-on faire croire, que dans la Capitale du hasard objectif, dans la
fourrure de verre de Nadja, dans l’ étoile des rues menant au Marché aux
puces ou à la Tour Saint-Jacques, il n’y ait pas eu un lieu, ou un être digne de
ce nom, capable d’accueillir gratuitement, au nom de L’OR DU TEMPS, le premier
poème fait de 25 mille objets de l’histoire de la poésie.
Ces pièces exceptionnelles n’ont aucune valeur en soi, tout comme un verbe en
soi ne provoque aucune action s’il n’est conjugué.
Dans les jeux de pistes de la poésie du mystère du monde, Breton avait caché
de nouveaux verbes dans cette phrase « d’espace-temps » qui conduit au verbe
secret du poème inconnu.
« Objets inanimés avez-vous donc une âme… » L’animisme de la poésie
contre le monothéisme du marché : ainsi se pose la question au moment où
l’on enterre l’éthique d’un poète et son oeuvre.
La poésie appelle à la vengeance impitoyable des poètes : j’invite tous mes amis
« Survenants » à tirer avec des « revolvers à cheveux blancs » « au hasard dans
la foule » des charognards et des coyotes de la poésie des banques.
ANDRÉ BRETON
1896-1966
Au nom des « Champs magnétiques » et de la « Révolution surréaliste », je convie
tous les poètes directs à venir écraser une TOMATE (une « POMME D’OR » dans
la langue de Dante) sur la tombe d’André Breton, au cimetière des Batignolles, à
Midi, le premier avril, jour du POISSON SOLUBLE et du début des ventes à Drouot.
J’appelle aussi solennellement les « poètes-survenants » à organiser des jets
puissants de poissons d’argent, sous l’espèce de sardines avariées, en l’endroit où
la « Haine de la vraie poésie » va acheter et vendre sous le contrôle des commissaires
politiques de l’art.
Face à l’ARGENT DES TEMPS, le poète du signe ascendant, nous invite à célébrer
l’OR DU TEMPS.
Sur la tombe de l’Amour Fou, il ne nous reste que nos poèmes pour faire basculer le
monde du côté de la plus haute clairvoyance.
Préparons un nouveau Clair de terre :
« En partant j’ai mis le feu à une mèche de cheveux qui est celle d’une
bombe
Et la mèche de cheveux creuse un tunnel sous Paris
Si seulement mon train entrait dans ce tunnel »
L’Aube est devenue noire ce matin mais la poésie lit toujours le catalogue inouï de ce
qui ne se vend pas.