Serge PEY

 

APPEL AUX SURVENANTS !

 

Contre l’Argent des temps

 

 

 

« Je cherche l’or du temps » !

 

Rendez-vous au cimetière des Batignolles

8 rue St Just, 75017, Paris 01 53 06 38 68, métro Porte de Clichy.

Mardi 1er avril 2003, à Midi, sur la tombe d’André BRETON

31e division, 12e ligne, 18e sépulture

 

311218 est le nombre de la tombe d’André Breton, 31e divison, 12e ligne,

18e sépulture. Breton signait 1713. Le A avait la forme du 1 et du 7 et le B

celle du 1 et du 3. Chacun choisit ses étoiles.

 Dans « cette soif d’arriver à la rencontre de tout » André Breton avait inventé

l'écriture d'un nouveau poème, hors du livre, une nouvelle langue-monde.

Cette langue des « objets-lettres » qu’il avait accumulés au cours de sa vie,

comme une longue phrase surréaliste, va être arrachée, par les bouchers des

salons de l’art.

Chaque objet, chaque livre recueilli par André Breton, est une lettre en majuscule,

comme un caractère d’imprimerie, qui ouvre sur l’infini de la présence philosophale.

« Ces objets qui, entre la lassitude des uns et le désir des autres, vont rêver à la

foire de la brocante », assemblés les uns à côté des autres sont l’écriture d’un livre

fondamental.

Vendre ces objets qui sont les mots d’un Grand-Œuvre participe au génocide

de la poésie.

En ces temps de guerre où l’on vend les morts et les mots, c’est la dernière œuvre

d’André Breton qui est mise en pièce par les charognards de l’argent et les coyotes

collectionneurs.

Les « avidas-dollars » et les « roteurs d’euros » se sont donnés rendez-vous à

Drouot pour la vente de l'invendable. Car ce que la police de l’art et les

marchands appellent la « collection de Breton » est en fait un nouveau concept

de poème infini, alliant le cœur alchimique de l’or avec les yeux de son lecteur. 


Vendre la rue Fontaine c’est comme si on vendait à l’encan les « Illuminations 

» de Rimbaud, consonne par consonne, voyelle par voyelle, virgule par virgule,

point par point.

« Les objets de la réalité n’existent pas seulement en tant que tels : de la

considération des lignes qui composent le plus usuel d’entre-eux surgit - sans

même qu’il soit nécessaire de cligner des yeux -  une image-devinette ».

 Les « objets-talismans » trouvés et perdus, les « épaves » de l’auteur de

«  l’Amour Fou », sont un poème qui ne peut se réduire au démembrement

des lettres de ses mots. « La trouvaille d’objets remplit ici rigoureusement

le même office que le rêve ».

De ce « rébus de magie blanche » écrit hors écriture par André Breton, il ne

nous restera que la cascade des prix, sous les coups de marteau des

commissaires-priseurs de la mort.

L’argument, selon lequel les « meilleures œuvres » seront sauvées par les

« pouvoirs publics », et ce, dans une « consolation nationale », participe

complètement de cette destruction, car dans la grande phrase de l’histoire

du poème qui va vers son inconnu, on ne peut faire la différence entre les

verbes et les mots.

La nécessité logique de l’œuvre magique est ici démembrée. « Toutes

choses étaient livrées à la transparence totale, reliées par une chaîne de verre

dont ne manquât pas un maillon. »

« La loi de production de ces échanges mystérieux entre le matériel et le mental

» ne supporte pas un seul bouleversement de syntaxe.

Le rythme est le sens du poème au centre de ses images-funambules.

La vente de Drouot représente la destruction radicale et consciente d’une œuvre

par ceux qui achètent et ceux qui vendent.

A qui peut-on faire croire, que dans la Capitale du hasard objectif,  dans la

fourrure de verre de Nadja, dans l’ étoile des rues menant au Marché aux

puces ou à la Tour Saint-Jacques, il n’y ait pas eu un lieu, ou un être digne de

ce nom, capable d’accueillir gratuitement, au nom de L’OR DU TEMPS, le premier

poème fait de 25 mille objets de l’histoire de la poésie.

Ces pièces exceptionnelles n’ont aucune valeur en soi, tout comme un verbe en

soi ne provoque aucune action s’il n’est conjugué.

Dans les jeux de pistes de la poésie du mystère du monde, Breton avait caché

de nouveaux verbes dans cette phrase « d’espace-temps » qui conduit au verbe

secret du poème inconnu.

« Objets inanimés avez-vous donc une âme… » L’animisme de la poésie

contre le monothéisme du marché : ainsi se pose la question au moment où

l’on enterre l’éthique d’un poète et son oeuvre.

La poésie appelle à la vengeance impitoyable des poètes : j’invite tous mes amis

« Survenants » à tirer avec des « revolvers à cheveux blancs »  « au hasard dans

la foule » des charognards et des coyotes de la poésie des banques.

Le faire part du décès de Breton portait ces quelques mots :

ANDRÉ BRETON

1896-1966

Je cherche l’or du temps

Au nom des « Champs magnétiques » et de la « Révolution surréaliste », je convie

tous les poètes directs à venir écraser une TOMATE (une « POMME D’OR » dans

la langue de Dante) sur la tombe d’André Breton, au cimetière des Batignolles, à

Midi, le premier avril, jour du POISSON SOLUBLE et du début des ventes à Drouot.

J’appelle aussi solennellement les « poètes-survenants » à organiser des jets

puissants de poissons d’argent, sous l’espèce de sardines avariées, en l’endroit où

la « Haine de la vraie poésie » va acheter et vendre sous le contrôle des commissaires

politiques de l’art.

Face à l’ARGENT DES TEMPS,  le poète du signe ascendant,  nous invite à célébrer

l’OR DU TEMPS.

Sur la tombe de l’Amour Fou, il ne nous reste que nos poèmes pour faire basculer le

monde du côté de la plus haute clairvoyance.

Préparons un nouveau Clair de terre :

« En partant j’ai mis le feu à une mèche de cheveux qui est celle d’une

bombe

Et la mèche de cheveux creuse un tunnel sous Paris

Si seulement mon train entrait dans ce tunnel »

 

L’Aube est devenue noire ce matin mais la poésie lit toujours le catalogue inouï de ce

qui ne se vend pas.